CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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CENTRAFRIQUE : LE SOUDAN A-T-IL ARME LES EX-SELEKA ?

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Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis. Cette semaine il fait le point sur la provenance des armes de l'ex-rébellion centrafricaine, la Séléka.

Trois décennies de conflits en Afrique centrale ont conduit à une prolifération endémique des armes légères de petit calibre (ALPC) en République centrafricaine (RCA). De là proviennent en partie les fusils d'assauts, mitrailleuses et autres équipements des ex-Séléka. Cependant, la soudaine montée en puissance de cette coalition de groupes rebelles au Président Bozizé, en décembre 2012, ne doit rien au hasard. Une profusion d'armes comme en RCA est évidemment susceptible de nourrir l'insécurité jusqu'au chaos, mais pas de donner naissance à une insurrection bien dotée en véhicules, en moyens de communications, bien entraînée, bien armée. De plus, les 5 000 hommes qui s'emparent d'une portion du pays en décembre 2012 avant de renverser le président Bozizé en mars 2013, sont bien équipés y compris en armes neuves. En dépit des dénégations de Khartoum, le GoS (Government of Sudan) s'avère clairement être un des soutiens d'une partie des ex-Séléka. Dans le cadre de ce soutien, des armes ont semble-t-il été livrées aux rebelles par l'intermédiaire – bien utile – des janjawid. Examinons les faits...

Le Soudan, une piste crédible ?

Certes, de décembre 2012 à mars 2013, le Soudan n'a pas d'agenda affiché vis-à-vis de la Centrafrique. Certes la situation diplomatique de cet ex-État paria s'améliore tandis que progressent les dossiers du Darfour et du Soudan du Sud. Cependant, le régime du président Béchir mène une politique étrangère discrètement agressive dans la région. Celle-ci est d'autant plus efficace que le maître de Khartoum excelle à diligenter des actions dans l'ombre. L'opération de commandos et d'éléments motorisés du GoS en appui des insurgés libyens dans la zone de Koufra, en 2011, en témoigne.

Constatations qui se vérifient à l'intérieur même des frontières du Soudan. En dépit des progrès pour des règlements pacifiques dans les crises qui touchent le pays, les autorités soudanaises gardent une influence plus ou moins prononcée sur les milices janjawid au Darfour, les milices moudjahidines au sud Kordofan, ou encore les rebelles pro-Karthoum en plein territoire du Soudan du Sud. Dans la zone du Darfour, une attaque contre la Minuad a d'ailleurs provoqué la mort d'un soldat rwandais, le 24 novembre 2013. Évidemment, le régime peut arguer que ces entités combattantes échappent à son contrôle. Reste que le gouvernement leur fournit toujours armes et munitions, notamment via des parachutages.

En ce qui concerne la République centrafricaine, à l'automne 2006, le Soudan est déjà derrière l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) que dirige Michel Djotodia. En octobre 2006, des éléments de son groupe capturent Birao après de brefs combats contre des éléments pusillanimes des Forces armées centrafricaines (Faca). Six ans plus tard, en décembre 2012, l'UFDR devient une des principales composantes de la Séléka (dont le sens le plus fidèle est "Alliance" ou "Pacte" et non "Coalition")... Son armement s'est étoffé, incluant notamment du matériel d'origine chinoise ou provenant des usines soudanaises...

La "patte" du Soudan apparaît aussi  en la personne du général Moussa Assimeh dans les rangs de la Séléka. L'homme est un chef de milice janjawid, un vétéran du Darfour... Courant octobre 2013, officiellement devenu "trop gourmand", il est "remercié" par Djotodia. Il rentre dans son village "natal" près de Birao. Curieusement, Assimeh accepte la décision du président centrafricain et quitte Bangui sans bisbille bien que de disposant de combattants et d'armes. De quoi provoquer le désordre. Difficile, donc, de ne pas imaginer Khartoum intercéder auprès du général janjawid. Enfin, le 18 août 2013, Abdel Raheem Muhammad Hussein, ministre de la Défense du GoS est à Bangui pour la cérémonie d'investiture présidentielle de Michel Djotodia. Sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, le représentant du général Béchir se rend en Centrafrique sans aucune hésitation...

Quelles armes soudanaises pour la Séléka ?

Corollaires à ces remarques d'ordre géopolitique, des observations sur les armes des insurgés anti-Bozizé conduisent à l'hypothèse d'un soutien matériel du GoS à la Séléka dès la fin 2012. En premier lieu, les insurgés utilisent différents modèles de Kalachnikov, et notamment des copies chinoises, nombreuses au sein des milices pro-Khartoum. Figure notamment une variante de ces copies, le fusil d'assaut Type 56-2, reconnaissable à sa crosse bien spécifique. Sans être excessivement rare, le Type 56-2 n'est pas non plus très fréquent dans la région, hormis dans l'arsenal des forces de sécurités du GoS et de milices qui lui sont proches. Les Faca en possèdent mais les Séléka les ont aussi en mains avant la chute de Bozizé. Il ne peut donc s'agir d'armes capturées. Un autre détail est à noter : la plupart des Type 56-2 des insurgés sont neufs.

En second lieu, des mitrailleuses légères MG3 ou Karar sont signalées au sein des Séléka... Pour autant qu'il soit connu, dans la région, un seul pays dispose de cette arme : le Soudan. Précisons que la Karar est la copie de la MG3 allemande (également fabriquée en Iran...), produite par l'industrie d'armement soudanaise dans les usines de la Military industry corporation (MIC). Autre mitrailleuse manufacturée par la MIC, la Khawad. Il s'agit encore d'une copie, cette fois-ci, de la mitrailleuse lourde Type 85 (ou W-85) chinoise de 12,7 mm. Arme des plus communes au Soudan, où elles équipent aussi bien les forces du GoS, les milices pro-Khartoum, Type 85/Khawad sont également visibles en nombre, montées sur les pick-ups des Séléka...

Toujours plus troublant, les Séléka possèdent plusieurs véhicules légers Safir. D'origine iranienne, la Safir est dérivée de la Jeep M38 américaine. Dans cette zone de l'Afrique, le Soudan constitue l'utilisateur principal (voire unique) de la Safir. Son industrie de défense a même entrepris le développement d'une version nationale, la Karaba VTG01. Cette omniprésence des matériels chinois et iraniens dans l'inventaire soudanais s'explique par des importations massives au cours des dix dernières années. Ainsi, de 2001 à 2008, Khartoum achète pour 61,6 millions de dollars en ALPC à Pékin et pour 18,4 à Téhéran ! De fait, les milices diverses qui opèrent avec plus ou moins de latitude au profit du Soudan ont donc quantités d'armes d'origine chinoise.

Au bilan, si ces éléments ne permettent pas d'affirmer de manière péremptoire que Khartoum a livré des armes à la Séléka, indirectement mais en connaissance de cause, ils représentent tout de même un faisceau d'indices qui vont dans le sens de cette assertion. Lorsque les opérations de désarmement menées par la France et les forces de l'ONU/UA auront avancé, il sera alors possible d'avoir une vue d'ensemble sur ces équipements. L'identification des modèles récupérés, leur nombre, les marquages ou leur absence (l'abrasion des marquages sur les armes que détiennent les milices pro-Khartoum est une pratique commune au Soudan, tout comme la fabrication nationale de munitions diverses sans la moindre indication...) seront alors éloquents.

 

Récapitulatif sur les armes aux mains des Séléka et leur origine :

La liste non-exhaustive suivante permet de se faire une idée - même sans connaissance en la matière - de la pléthore de modèles que l'on trouve en Centrafrique, de leur origine...

Ex-Faca : pistolets mitrailleurs MAT 49 (France), fusils MAS 36 (France), fusils d'assaut R4 (Afrique du Sud), lance-grenades automatiques M93 Zastava (Serbie), mortiers de 120 mm (Libye).

Ex-forces sud-africaines en Centrafrique : probablement quelques R4, lance-grenades Milkor.

Ex-Fomac : au moins un Famas.

Guérillas  diverses passées par la Centrafrique et ex-FACA : fusils d'assaut AK-47 et AKM Kalachnikov (pays de l'Est via la Libye, le Tchad...), Type 56 et Type 56-1 (fabriqués en Chine ; via le Soudan, le Tchad...), Galil (Israël),  fusils mitrailleurs RPD (pays de l'Est), mitrailleuses légères PK, PKM (pays de l'Est) et peut-être Type 80 (Chine), lance-grenades BG15 (ou équivalent ; pays de l'Est), mitrailleuses lourdes DShKM et ZPU-2 (pays de l'Est) et peut-être Type 85 (Chine), lance-roquettes antichars RPG-7.

Guérillas diverses passées par la Centrafrique : fusils d'assaut FAL (Belgique ; équipe de nombreuses armées dans les années 1960 à aujourd'hui, notamment la Libye) et peut-être quelques G3 (Allemagne ; équipe quelques armées Africaines à partir des années 1970, dont le Soudan), lance-grenades M79 (fabriqués aux Etats-Unis, dote en particulier les forces tchadiennes), mitrailleuses légères L7A1 (Grande-Bretagne via ?), Type 67-2 (Chine via ? ; rare en Afrique, connu pour n'être en service qu'en Guinée Equatoriale).

Armes susceptibles de provenir du Soudan : fusils d'assaut Maz (Type 56 fabriqués au Soudan), mitrailleuses légères MG3/Karar (copie soudanaise de la MG3 allemande) et Mokhtar (copie soudanaise de la Type 80 chinoise, elle-même inspirée par la PKM), mitrailleuse lourde Type 85/Khawad (copie soudanaise de la Type 85 chinoise), lance-roquettes antichars RPG-7.


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17/12/2013
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