CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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Le triste bilan de la République Centrafricaine : interview de Thierry Dumont, MSF

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“Le ministère de la santé est malheureusement incapable de mener à bien son mandat. Donc pour ce qui concerne Médecins sans Frontières en particulier, dans la plupart de nos projets nous agissons en totale substitution.
A titre indicatif, MSF, toutes sections confondues a un budget de 50 millions d’euros en Centrafrique uniquement. 50 millions d’euros, près de 200 expatriés, plus de 2000 staff nationaux, c’est énorme.
Le problème c’est que les crises qui se sont succédé en Centrafrique ont détruit l‘économie du pays, ont détruit le peu d’industrie qu’elle pouvait posséder. A peu près 60 pourcent de son tissu industriel a disparu. Son PIB est en dégringolade, moins 34 pourcent. Et ce qui est surtout dramatique c’est que les gens ne sont plus formés. Les universités ne fonctionnent plus. Si on ne prend que l’exemple des hôpitaux, des centres de santé, c’est très difficile pour nous de trouver des gens qui soient réellement qualifiés. Puisque le cursus universitaire est pratiquement interrompu.

 

Il faudra beaucoup de préconditions pour pouvoir fermer des projets, pour pouvoir les remettre à nos contreparties nationales.

 

A l’heure actuelle nous sommes à Berberati pour ce qui concerne MSF Suisse. Nous sommes en voie de désengagement de l’hôpital, parce qu’il se trouve qu‘à Berbérati il y a des conditions relativement favorables. Berbérati a été relativement épargnée par les soubresauts les plus récents de la crise. La stabilité, la sécurité permettent d’achever un certain nombre de choses. Alors qu‘à d’autres endroits où travaillent nos camarades des autres sections, il est très difficile d’imaginer de pouvoir se retirer à court ou moyen terme, c’est très clair.Les projets, les hopitaux dans lesquels nous travaillons en périphérie ne reçoivent pratiquement pas d’aide, de support du gouvernement et des unités centrales. Il est difficile de se déplacer en province, ca peut être dangereux, et tout simplement les moyens manquent souvent aux administrations et aux ministères. Ils n’ont pas d’essence, ils n’ont pas d’ordinateurs, ils n’ont pas de connections internet etc..C’est très très difficile. Il y a 15 ans il y avait une chose importante dans le domaine de la santé, un système de surveillance épidémiologique, qui fonctionnait. Dans chaque préfecture, dans chaque district, il y avait quelqu’un avec des moyens radio, qui pouvait transmettre des informations au niveau central. Ce système aujourd’hui n’existe plus. Donc s’il y a une épidémie à Nola, à Berbérati, à Ndele, l’information arrivera très tard après au niveau central. Et donc la réaction à l‘épidémie éventuellement n’en sera que plus tardive.

 

 

“On est toujours sur les priorités sanitaires qu’on adresse depuis longtemps, et notamment au travers de nos rapports, sur la crise silencieuse en 2011.
On est toujours sur les memes priorites sanitaires. Aujourd’hui les gens meurent du paludisme. Le paludisme c’est 50 pourcent des causes de consultation et d’hospitalisation des enfants. Le paludisme est vraiment ici le problème de santé numéro un. On va enchaîner avec les problemes habituels de santé des enfants, les infections respiratoires, les diarrhées etc. Le problème du HIV est une problèmatique importante. C’est la plus haute prévalence des pays d’Afrique Centrale. On est entre 5 et 10 pourcent de prévalence selon les zones du pays. 


En plus aujourd’hui on a évidemment les victimes de violences. Soit des blessés au moment des combats soit des populations déplacées par des combats, qui vont être en besoin d’assistance temporaire ou plus ou moins longue. Il y a des camps ici qui durent depuis plus d’un an.,Cela peut être des déplacements sporadiques qui durent quelques jours ou quelques semaines dans l’arrière -pays. Et puis il y a les victimes de violences sexuelles sur lesquelles on a des projets aussi. 


Plus largement, le manque d’Etat et ce système de chaos fait que la violence reste le système de régulation sociale, reste le seul et unique, donc on a affaire à une société extrémement violente. Les conflits de voisinage, les conflits de famille, les conflits sociaux, salariés- employeurs, vont se régler beaucoup plus facilement par la violence parce qu’il n’y a pas d’autre interlocuteur. Voilà sur les problèmes sanitaires où on en est aujourdhui.”

 

“ Si on devait faire un bilan aujourd’hui, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est mitigé. La première chose que je constate c’est que la Centrafrique est aujourd’hui pratiquement de facto coupée en deux. Une partie Est, sous contrôle des anciens Séléka. La partie Ouest qui elle serait plus ou moins sous contrôle du gouvernement. Bangui étant encore quelque chose de spécifique à l’intérieur de la Centrafrique. Avec une importante présence des forces armées. Et puis si on parle de la population, là je crois que le bilan est assez triste. Puisque avant ces malheureux événements de l’arrivée des Seleka sur Bangui, je ne connaissais pas une population qui ait vécu autant d’horreurs. J‘étais chef de mission ici en 1999 et 2000, toujours pour Médecins sans Frontières, l’ambiance était complètement différente. Les deux communautés, musulmane et chrétienne vivaient côte à côte. Il n’y avait aucune haine et aucun esprit de revanche entre les deux communautés. Aujourd’hui cela a changé. Qu’on prenne, chez les anti Balaka, qui sont un peu le pic du phénomène de revanche contre les musulmans qui les attaquent à coups de machette, leur coupent la tête, les eviscèrent etc.. C’est un peu les électrons libres de ce phénomène de vengeance. Mais à l’intérieur de la population aussi il y a vraiment chez beaucoup de gens, au minimum un phénomène de rancoeur. Parce que la plupart des gens, entre l’arrivée de la Seleka, et le départ de celle-ci, puis la présence des anti-Balaka, combien sont les familles qui ont perdu un père, une mère, un enfant, un frère une soeur..C’est absolument phénoménal. Donc ca ca crée des conditions qui rendent difficile après une réconciliation. Pas impossible, mais certainement qui prendra plus de temps. Et en même temps, si on fait un retour 15 ans en arrière sur la Centrafrique, il y avait déjà pas mal d’organisations humanitaires qui étaient ici, notamment dans le domaine de la santé, qui est celui qui nous préoccupe le plus. Et aujourd’hui elles sont toujours là, quinze ans après, elles ne sont jamais parties. En 2013 il y avait 40 ongs en Centrafrique, aujourd’hui il y en a 105.

 

 

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23/12/2014
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