CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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Le combat solitaire de Charles-Armel Doubane

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 Par Karim Lebhour

 

Charles-Armel Doubane est un ambassadeur en sursis. Congédié par le nouveau pouvoir issu du coup d'Etat à Bangui, en mars, le représentant de la République centrafricaine (RCA) à l'ONU attend un successeur qui ne s'est pas manifesté et tente malgré tout de plaider la cause d'un pays à la dérive.

Les écueils ne manquent pas. A commencer par la rivalité entre le nouvel homme fort, le président Michel Djotodia, et le premier ministre, Nicolas Tiangaye, adoubé par la communauté internationale. Tous deux voulaient faire le voyage à New York pour représenter la Centrafrique à l'Assemblée générale des Nations unies, rendez-vous annuel des chefs d'Etat de la planète, le 24 septembre. "C'est une situation surréaliste !", s'étrangle l'ambassadeur, alarmé par l'annonce d'une délégation "pléthorique" de plus d'une vingtaine de personnes. "Tout ce monde à héberger à New York alors que nous n'avons pas le sou et que nous sommes en train de demander l'assistance des uns et des autres. Cela ne servira qu'à écorner encore un peu plus l'image déjà ternie de la Centrafrique", s'agace-t-il. Un casse-tête de plus pour celui qui se décrit comme "l'ambassadeur d'un Etat effondré" et s'est donné pour mission de "sortir la crise centrafricaine de l'oubli".

Boudé par sa capitale, Charles-Armel Doubane essaye de mobiliser la diplomatie onusienne, appuyé seulement par un attaché et une secrétaire. Depuis que les rebelles de la Séléka ont renversé l'ancien président François Bozizé, Bangui ne répond plus. "Je ne reçois plus aucune instruction de la capitale. Mais ça ne m'empêche pas de travailler et de tenter de faire bouger les choses." La ministre des affaires étrangères a coupé les ponts. Le nouveau président ne l'a jamais appelé. Signe de la confusion qui règne à Bangui, la lettre d'accréditation de son successeur a été adressée au mauvais endroit et n'est pas parvenue au siège des Nations unies à New York. Seul le premier ministre lui parle de temps en temps au téléphone.

"Mon pays n'a plus de cap", se lamente-t-il. Il rêve d'une grande opération de maintien de la paix, "comme au Mali", et regrette le peu d'espace médiatique laissé par le conflit syrien. Au Conseil de sécurité, seule une poignée des pays membres ont une ambassade à Bangui. L'ambassadeur doit régulièrement localiser la RCA. "Je viens avec une carte. J'explique notre position et notre importance au cœur de la sous-région. Mais il y a beaucoup de conflits dans le monde, et la République centrafricaine n'a pas le même poids géostratégique que certaines crises dites majeures", regrette-t-il.

Le 14 août, ce diplomate de 46 ans, formé à l'ENA, a fait un discours remarqué devant le Conseil de sécurité : "Le 24 mars a donné le coup de grâce à ce qui restait d'un Etat fragile. Tous les oripeaux du pouvoir ont disparu (...). Le pays est livré comme butin de guerre à ceux qui se sont érigés en administrateurs, percepteurs d'impôts ou commandants de zone."

 

"ABSENCE TOTALE D'ETAT DE DROIT"

Faut-il y voir l'amertume d'un ancien ministre du président déchu François Bozizé ? "Je n'ai jamais été un militant de Bozizé, se défend-il. Les nouvelles autorités m'ont proposé le poste de ministre des affaires étrangères. A 46 ans, cela aurait été un bel achèvement de carrière. J'ai décliné." Le juriste ne pardonne pas à la Séléka d'avoir "pris le pouvoir dans une très grande violence" et "détruit l'appareil administratif". Il était à Bangui lors de l'effondrement du régime. Des rebelles ont envahi la résidence où il se trouvait. Molesté, puis finalement reconnu par l'un des combattants, il a été évacué par les Nations unies et en a été quitte pour un séjour hospitalier en France.

A New York, le très remuant ambassadeur peut se féliciter de quelques avancées. Après plusieurs déclarations sans grande portée, le Conseil de sécurité est sur le point d'adopter une résolution proposée par la France. Le texte doit porter à 3 600 hommes la force de l'Union africaine (Misca), la placer sous mandat de l'ONU etrenforcer le bureau des Nations unies sur place (Bonuca). Objectif : enrayer le chaos sécuritaire et pallier "l'absence totale d'Etat de droit" décrite par le secrétaire général, Ban Ki-moon.

"Si la Misca et le Bonuca se déploient hors de Bangui, cela va rassurer les populations qui se sont réfugiées en brousse ou dans la capitale et les inciter à rentrer dans les villages. Le retour des fonctionnaires locaux va permettre d'asseoir à nouveau l'administration sur tout le territoire", espère Charles-Armel Doubane, qui demande également l'envoi d'observateurs des droits de l'homme pour enquêter sur les meurtres, pillages, viols et enrôlements d'enfants-soldats dénoncés par l'ONU.

Les diplomates qui le fréquentent évoquent un ambassadeur iconoclaste. "C'est un homme profondément attaché à son pays. Lors des discussions sur la Centrafrique, il nous demandait toujours d'être le plus ferme possible avec son gouvernement", confie un diplomate du Conseil de sécurité. Dans son bureau, on remarque que l'ambassadeur n'a affiché aucun portrait, comme cela est l'usage dans les missions diplomatiques. Pied de nez au nouveau pouvoir ? "Pas du tout !,rétorque Charles-Armel Doubane. Bangui ne nous a pas envoyé le portrait officiel de celui qui incarne l'Etat centrafricain. J'attends toujours."

 

Le monde



19/09/2013
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