CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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Mobilisons l’Europe pour la République centrafricaine !

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François Heisbourg Conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur de La Fin du rêve européen (Stock, Paris, 2013)

 

Une situation humanitaire dramatique, un mandat unanime du Conseil de sécurité, un théâtre d’opérations bien connu de la France : toutes les conditions morales, politiques et opérationnelles paraissaient réunies pour conduire une intervention brève et réussie en République centrafricaine (RCA). Au lieu de cela, nos soldats se trouvent seuls, face à une situation locale nettement plus dure que prévue. Il n’y aura pas de succès rapide et nos troupes devront probablement être renforcées.

Du côté européen, le tableau est affligeant. Dans la guerre de Libye, le constat avait certes été celui d’une Europe divisée : mais du moins plusieurs de nos partenaires comme la Belgique, le Royaume-Uni, l’Italie, le Danemark, la Norvège(non-membre de l’UE) avaient-ils couru les mêmes risques que nous. Au Mali, la France a engagé seule l’opération « Serval », mais c’était l’urgence absolue de la situation qui dictait cet état de fait : elle ne pouvait ni ne devait subordonner son intervention à la mise sur pied d’une force placée sous drapeau européen. Dans le cas de la RCA, il n’y a pas de désaccord politique, cependant que les tâches militaires requises sont à la portée de toutes les armées européennes. Si l’aidelogistique et le soutien politique de nos partenaires européens sont précieux, nous sommes seuls sur le terrain. Si l’on voulait tuer l’idée même de défenseeuropéenne, on ne s’y prendrait pas autrement.

 

CONTRASTE SAISISSANT PAR RAPPORT À 2003

Dans ces conditions, il peut être tentant d’accabler nos partenaires, en commençant par l’Allemagne, qui s’intéresse à l’Europe mais assez peu à la défense, et en continuant par le Royaume-Uni, si proche de nous sur le plan militaire mais qui tourne le dos à l’Europe. On pourrait s’en prendre aussi à Lady Catherine Ashton, haut représentant de l’UE pour les affaires extérieures et de sécurité : si aucun « battle group » européen – ces groupes tactiques de 1 500 soldats dont un est constamment de permanence – n’a été dépêché en RCA, n’est-ce pas en partie de son fait ?

Pourtant, notre pays a sa part de responsabilité dans une situation qui est négative pour le développement de la défense européenne à l’égard de la situation en RCA et en termes de danger pour nos soldats. Le péché originel réside dans la résolution 2127 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui donne mandat à la France, et non à l’Union européenne, en termes de recours à la force. La France, membre permanent du Conseil, a joué un rôle-clé dans la rédaction de ce texte. Il y a là un contraste saisissant par rapport à ce qui s’était passé en 2003, lorsque la France avait convaincu le Conseil de sécurité de mandater une force européenne pourprévenir le risque de génocide dans la province de l’Ituri au Congo-Kinshasa. L’opération européenne « Artemis » d’un volume d’environ 2 200 militaires de 18 pays et d’une durée de trois mois avait été un brillant succès dans une province plus grande que la RCA. Certes, la grande majorité des soldats engagés était française, tout comme les moyens de conduite des opérations : mais le drapeau avait été européen, et cela faisait toute la différence en termes politiques. Notons au passage que tout cela avait été conçu, négocié et mis en œuvre en trois semaines seulement.

 

LA RCA ARCHÉTYPE DE LA FRANÇAFRIQUE ?

Pourquoi en est-il allé différemment cette fois-ci ? En 2013, avons-nous consulté nos partenaires européens avec la ferme volonté d’aboutir à une opération de l’Union comme l’avait fait le président Jacques Chirac dix ans plus tôt, qui en avait fait une condition sine qua non ? Nous sommes-nous contentés d’anticiper des refus jugés inévitables ? Ou avons-nous préféré la dimension nationale, partant du principe que l’intervention serait facile ? Après tout, la France a une longue expérience d’opérations limitées mais musclées et efficaces en RCA : mais nous ne serions alors guère fondés à nous plaindre du manque de solidarité de nos partenaires pour le cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu. Dans ce cas aussi, il ne faut pas s’étonner que certains de nos partenaires tant africains qu’européens puissent voir dans l’opération « Sangaris » notre énième intervention dans cet archétype de la Françafrique qu’était la RCA – et que n’étaient ni la Libye ni le Mali. Circonstance aggravante, notre connaissance du pays a été prise en défaut.

Ces questions ne sont pas académiques ; elles appellent une réponse. En attendant, nous sommes dans une situation qui appelle le passage par la case « Europe ». Pour cela une nouvelle résolution du Conseil de sécurité et l’accord des Européens pour partager les responsabilités d’une intervention impliquant le retour à la force seraient souhaitables. C’est cela qui pourrait être visé lorsque les Européens décideront le 20 janvier de la mise en place d’une opération européenne. Une simple force de stabilisation ou d’entraînement ne suffira pas àrenouer les fils rompus de la solidarité européenne. A défaut, la question du retrait français risque de se poser au terme des six mois, soit le 5 juin 2014, que le Conseil de sécurité a fixé pour revoir le mandat donné aux forces françaises.

 

http://www.lemonde.fr



27/12/2013
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