CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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Centrafrique : les forces tchadiennes rejetées, et après ?

Le président tchadien Idriss Déby annonçait hier le retrait de ses 850 soldats de la Misca en Centrafrique. Aussitôt dit, aussitôt fait, un premier convoi de militaires tchadiens a, ce samedi, quitté la capitale. Un désengagement qui n'affectera que dans un moindre mesure la population de Bangui, mais qui va créer un vide dans les villes du nord, comme Bossangoa, et inquiète les organisations humanitaires. L'éclairage dePhilippe Hugon, spécialiste de l'Afrique centrale. 

Les autorités tchadiennes et les responsables de la Misca affirment que les soldats qui ont ouvert le feu sur des civils centrafricains le 29 mars dernier à Bangui répondaient à une attaque - bilan : 30 morts. Les Nations unies, elles, taxent les troupes tchadiennes de la Misca d'exactions en l'absence de toute menace - une accusation très grave. 

Ce samedi 5 avril, le Tchad a dénoncé les propos malveillants de l'ONU : "Le gouvernement de la République du Tchad exprime sa surprise et son indignation face à une prétendue enquête publiée par la Commission des Nations unies pour les Droits de l'Homme". Le gouvernement tchadien qualifie de "diffamatoires et tendancieuses" les accusations de la Commission selon laquelle des soldats tchadiens "ont tiré de façon indiscriminée" sur la population et déclare que le rapport de la Commission est "aux antipodes des faits réels."
 

Décryptage de Phlippe Hugon

 

 

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Propos recueillis par Liliane Charrier
 
 
 
 
Exactions ou diffamation ? Que s'est-il réellement passé ? 

Les informations divergent. Ce qui est certain, c'est que les forces tchadiennes se sont retrouvées dans une position très ambiguë, à la fois juge et partie, dans un conflit qui a changé de nature. 
  
On sait que la Seleka était composée, entre autres, de Tchadiens, que les forces tchadiennes ont laissé passer les ex-Seleka lorsque Djotodia est arrivé au pouvoir et que les Tchadiens ont davantage protégé les ex-Seleka. On sait aussi que les Tchadiens, lorsque le conflit a pris une autre dimension avec les exactions des milices anti-balaka contre les musulmans, ont joué un rôle essentiel dans l'évacuation de populations très vulnérables - Peuls, Maliens, Haoussas qui, pourtant, n'ont pas grand-chose à voir avec les ex-Seleka. 

En même temps, les forces tchadiennes sont indispensables au processus de sécurisation du territoire. Sont-elles vraiment reparties vers le Tchad ? Resteront-elles dans les zones de l'est contrôlées par les ex-Seleka ? Va-t-il y avoir des négociations avec Idris Deby ? Ces questions restent en suspens. Toujours est-il que le départ des Tchadiens ne fait qu'aggraver la situation en Centrafrique. Car les forces tchadiennes sont stratégiques : elles sont les plus structurées de la Misca et le Tchad joue traditionnellement un rôle central dans les sorties de crise en Centrafrique.
 
 
Qui va remplacer les 850 soldats tchadiens ? Les 800 soldats des forces européennes ? 

Les 800 hommes des forces européennes ne pourront pas remplacer les forces tchadiennes, même si elles sont à peu près équivalentes en nombre d'hommes. Tout d'abord parce que leurs fonctions, leurs mandats et leurs lieux de déploiement sont différents - dans le nord et à l'est pour les Tchadiens ; à Bangui et autour de l'aéroport pour les Européens. Et aussi parce que les Tchadiens, en tant qu'Africains, ne peuvent pas être taxés d'être des représentants des puissances occidentales. 

Bien sûr, après plusieurs mois d'atermoiement, on ne peut que se féliciter que l'Europe, enfin, accepte de s'engager et d'envoyer des hommes en renfort - même si, à part la Pologne, seuls des petits pays participent. Reste que nombre global des renforts demeure largement insuffisant. 
 
 
 
 
Le départ des Tchadiens peut-il apaiser les relations entre la population et les forces armées ? 

Non, au contraire, les choses ne peuvent que s'aggraver. Au-delà de l'instrumentalisation des forces par la politique - la Seleka par le Tchad et les anti-balaka par les proches de Bozizé - le conflit a changé de nature. Aujourd'hui, les anti-balaka sont essentiellement des jeunes, désoeuvrés, qui sont socialisés par la violence. On ne peut pas ne pas penser aux jeunes patriotes de Côte-d'Ivoire proches de Gbagbo, à la Sierra Leone et au Liberia, ou, par certains aspects, au Rwanda. Ils s'en prennent à différentes populations. Or les forces militaires sont déjà très mal armées pour agir contre ces bandits, puisqu'elles sont toujours accusées de prendre parti. Les Tchadiens étaient accusés d'être contre les anti-balaka, et la France, avec moins de bavures, certes, est elle aussi en porte-à-faux. Dans ces conditions, le départ des Tchadiens ne peut qu'empirer la situation. 

 
 
 

Est-ce le coup de grâce au projet de forces armées permanentes ? 

Les forces régionales africaines ont toujours beaucoup de difficultés à se coordonner, puisqu'elles défendent des intérêts antagonistes et que certaines puissances, comme le Tchad, jouent depuis toujours un rôle plus important que d'autres. Faiseur de rois et de présidents, le Tchad considère qu'il assure un contrôle en Centrafrique. Et les militaires tchadiens de la Misca ont gardé leur nationalité tchadienne. 

Les choses seront peut-être plus simples le jour où la Misca sera sous le mandat des casques bleus, comme l'a promis Ban ki-Moon, mais ils n'arriveront pas avant septembre. En attendant, quelle va être la position du Tchad ? Il faudrait une négociation avec Deby et que la situation actuelle ne soit pas irréversible. 
 
Par Jean-Luc Eyguesier


06/04/2014
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