RCA : séquestrés dans le camp de PK 12
Dans un entretien réalisé il y a une semaine, Martine Flokstra, chef de mission MSF en République centrafricaine, revient sur le calvaire de nombreux habitants après des mois de violence.
Quelle est la situation humanitaire au camp de PK 12?
À Bangui, la capitale de la République centrafricaine, ainsi que partout dans le pays, des groupes armés sont entrés en guerre. De nouveaux affrontements sont survenus entre des groupes d’autodéfense, les anti-Balaka et les anciennes forces Séléka. Près de la mosquée du camp de PK 12, dans la banlieue nord de Bangui, se trouve une petite enclave encerclée par les forces armées anti-Balaka, où vivent environ 1 800 musulmans et Peuhl. Ils n’ont aucun accès à de la nourriture ou de l’eau potable et obtiennent des soins médicaux des ONG et de l’ONU de façon sporadique et au périple de leur vie. Cette population a vécu dans cette enclave pendant 2 mois, après avoir fui les alentours de Bangui en raison des menaces de violence. Les familles, y compris les femmes, les enfants et les personnes âgées s’entassent sur une toute petite surface de 200 m sur 500 m, encerclée d’hommes armés. Des grenades explosent tous les jours ou presque. Nous avons trouvé que l’état nutritionnel et sanitaire de la population de PK 12 est désastreux. En règle générale, 20 % des enfants de 5 ans ou moins souffrent de malnutrition grave. L’équipe de santé mobile a vacciné les enfants contre la rougeole. Elle fournit des soins de santé primaires de façon régulière et prodigue les premiers soins aux blessés en plus d’acheminer certains cas vers les hôpitaux. Ce peuple assiégé est isolé, il vit sous la menace constante de la violence et désespère de ne pas pouvoir quitter les lieux. La situation de ces gens frise la catastrophe.
De quelle façon la situation a-t-elle évolué au cours des dernières semaines?
Au cours des deux dernières semaines, 14 grenades ont été lancées sur le camp de PK 12, causant la mort d’une personne et en blessant une quinzaine. On entend régulièrement des tirs dans le camp. Même si les attaques à la grenade n’ont que fait quelques victimes, elles terrorisent la population déplacée et laissent de nombreux traumatismes. La population qui est la cible des attaques nous a dit qu’elle veut désespérément quitter les lieux, mais les gens risquent d’être tués s’ils essaient. À plusieurs reprises, des convois de civils musulmans ont été attaqués. Une fois, un homme est tombé d’un camion et il a été lynché. Dans un autre cas, une grenade a été lancée sur un camion. L’équipe de MSF était présente lors d’une attaque à la grenade. Ce niveau de violence complique le travail des organisations d’aide humanitaire qui souhaitent atteindre la population pour leur assurer l’accès à des soins de santé ou à toute autre forme d’aide. Diverses organisations, dont MSF, ont été menacées à proximité des postes de contrôle anti-Balaka et toutes les organisations n’ont pas eu la possibilité de fournir de l’aide.
Le 18 février, l’armée tchadienne a envoyé des camions pour évacuer une partie de la population déplacée du camp de PK 12. Ils n’ont toutefois pu mobiliser que 200 à 250 personnes. Désespérées de quitter le camp, les 2 000 personnes restantes ont paniqué et dans le chaos qui a suivi, cinq enfants, dont un bébé ont été piétinés à mort dans le camp de transit.
Quelle a été la réaction de MSF?
Au cours des derniers jours, MSF a effectué quelques brèves visites dans la région pour ne traiter que les cas médicaux les plus graves. Pour l’instant, nous procédons à l’évaluation de la situation pour déterminer quelles sont les possibilités de faire notre travail dans le camp de PK 12. La population soutient et apprécie notre présence, mais nous supplie de les évacuer de la région où la prestation de services de santé est insignifiante.
Y a-t-il d’autres situations similaires à celle de PK 12 en RCA?
En dehors de Bangui, il y a plusieurs autres régions où les gens sont assiégés et vivent dans la peur de la violence. Toute la population, tant musulmane que non musulmane, y est confrontée. Par exemple, dans la région nord de Boguila, notre équipe a trouvé une communauté chrétienne prisonnière d’un groupe armé. Leurs champs avaient été détruits. Pour l’instant, nous travaillons dans trois régions où les problèmes sont similaires et ces problèmes sont encore plus complexes lorsque nous tentons d’atteindre les blessés. Une grande partie de la population ne peut pas se rendre dans les centres de santé, car ils craignent pour leur vie et sont trop effrayés à l’idée de se déplacer dans l’une des quelques ambulances qui sont disponibles. Les patients atteints de maladies mettant leur vie en danger n’acceptent pas de se rendre à l’hôpital, car ils ne se sentent pas en sécurité. De plus, les conditions de sécurité entravent l’acheminement de l’aide par les équipes médicales et les travailleurs humanitaires, surtout lorsque la population est assiégée. Dans le nord du pays, des milliers de personnes sont prises au piège et des centaines de milliers de personnes sont toujours déplacées à Bangui, et dans les villages. Nous voyons des populations déplacées, qui avaient trouvé refuge dans la brousse, revenir dans leur village, mais pour constater que tout a été brûlé et qu’ils doivent tout reconstruire. De plus, ces villageois rapatriés sont souvent incapables d’atteindre leurs terres et sont désormais confrontés à de graves pénuries de nourriture.
Comment les gens réagissent-ils lorsqu’ils sortent de la brousse pour revenir dans leur village?
À Bolio, un village près de Boguila, les gens viennent tout juste d’arriver il y a deux semaines après s’être cachés dans la brousse et ils sont encore nerveux lorsqu’ils entendent le bruit d’un moteur. Ils ont fui vers la brousse en juin 2013, au moment où les Séléka sont arrivés dans la région. Les Séléka n’ont pas seulement pris pour cibles les anti-Balaka de la région, ils ont également tiré sur des femmes et des enfants innocents. Durant leur périple dans la brousse, les gens ont mangé ce qu’ils pouvaient trouver comme des ignames sauvages, des légumes et des feuilles. Mais leur retour au village s’est effectué sous de sombres auspices. Tout a été pillé et ils essaient donc de rebâtir leur vie. Mais comme ils sont assiégés, ils ont peu d’occasions de trouver de la nourriture et sont aussi privés de médicaments et se battent pour des plantes médicinales qu’ils trouvent en forêt.
Y a-t-il une histoire qui vous a marquée plus particulièrement?
Une personne âgée, membre de la communauté musulmane déplacée dans le camp de PK 12 nous a dit : « Notre estomac est vide, nos muscles sont douloureux, notre tête bourdonne, mais c’est notre cœur qui souffre le plus. L’incertitude de notre avenir et de celui de ceux qui ont fui cet endroit, lié à l’incompréhension de la situation attise la douleur dans nos cœurs ». Je pense que cela résume parfaitement l’atrocité de la situation.
Publié le 13 mars 2014 par Médecins Sans Frontières
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