Les négociations entre le gouvernement malien et le Mouvement national de libération de l’Azawad devaient commencer fin 2013. Avez-vous obtenu des assurances sur le lancement de ce dialogue ?
Samantha Power Le but de ce déplacement était de constater les très grands progrès réalisés depuis l'intervention française, en janvier 2013, qui a été suivie par la tenue d'élections présidentielles et législatives, ainsi que par le retour de dizaines de milliers de personnes déplacées. Nous avons pris note des initiatives encourageantes prises par les autorités maliennes sur la gouvernance, la lutte contre la corruption et l'arrestation du général Sanogo [le chef de l'ex-junte qui a pris le pouvoir en mars 2012] en novembre. Nous avons constaté ces progrès et aussi encouragé le gouvernement et le président Ibrahim Boubacar Keïta àpoursuivre la dynamique amorcée depuis les élections.
Nous sommes repartis de Bamako avec l’engagement des autorités maliennes qu’elles allaient entamer le dialogue rapidement. Les Maliens nous ont remis une feuille de route, avec des dates et une méthode pour avancer, mais c’est un travail qui est toujours en cours. Ce que je peux dire avec certitude est que les dirigeants maliens ont bien entendu le message porté par l’ensemble des membres du Conseil de sécurité : il est impératif qu’ils travaillent avec les Nations unies et qu’ils s’assoient autour de la table avec les groupes armés.
Quand ce dialogue va-t-il débuter ?
Nous avons insisté sur le fait que les délais initiaux n’ont pas été respectés et qu’il était très important d’avancer. Puisque la feuille de route est encore en cours d’élaboration, je préfère laisser aux Maliens le soin de préciser eux-mêmes les dates. Mais ils comprennent les attentes de la communauté internationale. Nous nous attendons à ce que le dialogue commence ce mois-ci.
Etes-vous frustrée par la lenteur du processus de réconciliation ?
Si vous repensez à l'état dans lequel se trouvait le Mali il y a quinze mois, personne n'aurait pensé qu'il en serait là où il en est aujourd'hui. Le nouveau gouvernement veut utiliser l'engagement de la communauté internationale comme un tremplin pour amener le Mali vers un avenir différent. De ce point de vue, il est donc difficile de se sentir frustrée.
En revanche, nous sommes aussi conscients de la rapidité avec laquelle les instigateurs du désordre peuvent se regrouper et les jeunes se radicaliser. Il est dans notre intérêt que le Mali réussisse et se développe. Il est aussi dans notre intérêt de sécurité nationale que les frontières du Mali soient davantage sécurisées et que les menaces terroristes soient gérées. Nous avons donc été très fermes sur l'urgence qu'il y a à commencer le dialogue, d'autant qu'il sera complexe àmener.
Faut-il augmenter le nombre de soldats de l’ONU pour sécuriser le nord du Mali ?
Je pense que le déploiement de la Minusma, la force de l’ONU au Mali, qui n’a atteint que 60 % de ses capacités, doit être complété. Les Nations unies ont autorisé le déploiement de 11 000 soldats ; il n’y en a que 6 000 sur place pour le moment. Le général rwandais commandant de la Minusma a clairement indiqué qu’il a besoin de ces renforts. Tout le monde en est conscient. Le nombre d’accrochages augmente de façon inquiétante.
Donc, oui, la Minusma doit être renforcée de façon urgente. Elle devrait atteindre80 % de sa capacité d’ici à la fin mars. Dès notre retour à New York, nous allonsbattre le tambour avec nos collègues français et africains pour que les effectifs de la Minusma soient au complet avant cet été, le délai initialement prévu.
Les groupes terroristes se concentrent notamment le long de la frontière sud de la Libye. Quelle est la répartition des rôles entre Français et Américains dans ce secteur ?
Disons que notre coopération militaire n'a jamais été aussi bonne sur plusieurs théâtres d'opérations et nos échanges de renseignements se sont considérablement accrus. Nous sommes en plein accord sur le fait que nous devons envisager la menace sécuritaire au Sahel d'un point de vue régional. Et au fur et à mesure que les troupes françaises seront redéployées en dehors du Mali, nous leur offrirons tout notre soutien.
Avant d’intervenir en République centrafricaine (RCA), en décembre 2013, la France a affirmé qu’il y avait un risque de génocide dans ce pays. Vous avez beaucoup travaillé sur la question des génocides. Partagez-vous cette analyse ?
Nous prenons très au sérieux les avertissements sur les risques de génocide. J’étais en RCA avant Noël et l’état d’esprit que l’on peut y observer est très inquiétant. Vous entendez des gens dire : « Je veux tuer des musulmans. » C’est un état d’esprit qui crée une prédisposition à des atrocités de masse. Iil y a un grave risque que des gens soient la cible d'exactions en fonction de critères religieux, c'est évident. Le simple fait d'être un musulman dans certaines localités a été un prétexte suffisant pour voir sa maison incendier. Ce type de brutalité monstrueuse a eu lieu. Le leadership manifesté par la France vis-à-vis de la RCA a été déterminant. Sans la présence française, je tremble à l'idée de penser à quoi ressemblerait la RCA aujourd'hui.
Les Etats-Unis apportent un soutien logistique aux troupes africaines en RCA, les Américains sont-ils prêts à aller plus loin, en déployant des troupes au sol ?
Le président Barack Obama a débloqué 100 millions de dollars (74 millions d'euros) pour transporter et équiper les forces africaines. Il manque encore environ 1 500 soldats par rapport au nombre autorisé par l'Union africaine (UA). Nous travaillons, avec les Français, pour que la Misca, la force de l'UA, atteigne sa pleine capacité.
Le secrétaire général de l'ONU va faire des recommandations d'ici deux semaines sur les prochaines étapes pour la RCA. Pour l'instant, l'Union Européenne, la France et l'Union Africaine ont des troupes déployées sur place. Il faut donc voir s'il est nécessaire de transformer la mission de la Misca en opération de maintien de la paix de l'ONU. Il y a encore beaucoup à faire pour investir dans la force africaine.
Le président Obama est-il favorable à une opération de maintien de la paix de l’ONU en RCA ?
En ce moment, notre priorité est de renforcer les troupes africaines de la Misca, la force de l’Union africaine. Pour deux raisons. D’abord, elles sont déjà sur place. Ensuite, même si le Conseil de sécurité décidait dans les mois à venir detransformer cette mission en opération de maintien de la paix, nous devons êtreréalistes : d’où pourraient venir ces troupes ? Il s’agirait des mêmes.
En outre, les forces africaines ont traditionnellement des règles d’engagement plus robustes que celles des forces de l’ONU. Elles sont plus opérationnelles pourdésarmer les milices Séléka [musulmanes] et les anti-balaka [chrétiennes]. Une opération de maintien de la paix traditionnelle de l’ONU ne pourra pas mener ce genre d’opérations.
Pour l’instant, l’Union africaine envoie des signaux contradictoires sur l’opportunité d’engager une opération de maintien de la paix de l’ONU. Nous attendons aussi l’avis des nouvelles autorités centrafricaines. Mais quelle que soit la couleur des casques sur place, l’important est d’avoir des troupes prêtes à mener le type d’opérations agressives nécessaires pour désarmer les milices.