TEMOIGNAGE : Torturé et racketté par des ex-combattants seleka
Pierre Centrafrique
"Pour obtenir ma liberté, j’ai dû vendre mon moulin à manioc ainsi qu’un terrain"
C’était le 11 septembre, sur les coups de 23 heures. Des hommes en armes, en fait d’anciens éléments de la Séléka, sont venus chez moi car, selon eux, je dissimulais un fusil artisanal [un petit fusil de chasse très répandu au Centrafrique]. Ils ont fouillé partout, n’ont rien trouvé. Mais ils m’ont quand même arrêté pour "me poser quelques questions", m’ont-ils dit.
Ils m’ont conduit dans l’ancienne auberge, qui leur sert désormais de quartier général et de centre d’interrogatoire. Avant que Bozoum ne tombe aux mains de la Séléka, cet endroit abritait une dizaine de chambres. Puis il a été dévalisé et les chambres ont été transformées en cellules de prison. Dès mon arrivée, ils m’ont ligoté les bras et les jambes puis ils m’ont enfermé dans une cellule en compagnie d’autres hommes. Nous sommes restés ainsi attachés jusqu’au lendemain, il était alors environ 14 heures [d’après notre Observateur, la vidéo a été tournée à ce moment-là, le 12 septembre].
"Le plus pathétique dans cette histoire, c’est qu’en face de cette ancienne auberge se trouve une gendarmerie"
Ils m’ont détaché mais ne m’ont pas pour autant remis en liberté. Pour l'obtenir, j’ai dû m’acquitter de 150 000 CFA [environ 230 euros]. Et pour pouvoir payer cette somme, j’ai dû vendre mon moulin à manioc ainsi qu’un terrain. D’autres, qui contrairement à moi n’avaient pas la "chance" d’avoir un bien, ont fait appel à leur famille. Dans le groupe, deux frères ont refusé de céder aux caprices de nos ravisseurs, ce qui leur a valu plusieurs coups de ceinture sur le corps et même sur le visage. Ils ont fini par craquer et des personnes de leur entourage sont venues régler le montant exigé.
Tant qu’ils n’avaient pas perçu leur argent, les rebelles ne relâchaient personne. J’ai pu rentrer chez moi seulement le 23 septembre. Jusqu’à cette date, ils m’ont laissé croupir dans une cellule où j’ai dormi à même le sol. Et c’est ma famille qui s’est chargée de me nourrir et de soigner mes multiples contusions aux bras.
Le plus pathétique dans cette histoire, c’est qu’en face de cette ancienne auberge se trouve une gendarmerie. Mais les personnels n’ayant ni les armes, ni le contrôle sur la situation, c’est en spectateurs qu’ils assistent au triste spectacle offert par les milices.
La Séléka a été dissoute mais il reste des groupes rebelles qui n’obéissent qu’à leurs chefs directs et qui continuent de semer la terreur partout où ils passent. Bozoum est contrôlé par deux colonels autoproclamés, qui ont sous leurs ordres une vingtaine d’hommes. Ce n’est pas beaucoup, mais comme ils détiennent les armes, ils détiennent aussi le pouvoir.
Billet rédigé avec la collaboration de Grégoire Remund, journaliste à France 24.
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