CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

TEMOIGNAGE : Torturé et racketté par des ex-combattants seleka

Battus, humiliés, ligotés et rackettés. Une vidéo postée sur YouTube montre le calvaire que d’anciens éléments de la Séléka ont fait vivre à un groupe d’hommes de la petite ville de Bozoum, dans le nord-ouest de la Centrafrique. Une des victimes témoigne…
 
Sur les images, les hommes apparaissent pieds et poings attachés, leurs corps sont à moitié dénudés et maculés de boue. Ils sont filmés ainsi pendant plusieurs minutes. Sur l’une des dernières séquences, l’un d’eux est détaché. Groggy, les yeux hagards, il se redresse avec difficulté, laissant imaginer que son supplice a duré plusieurs heures.
 
Attention, les images de cette vidéo sont choquantes.
 
 

 
 
D’après le père Aurelio Grazzera, un prêtre italien du diocèse de Bozoum qui fait partie de nos Observateurs, ce genre de scène est monnaie courante depuis la prise de la ville fin mars par les hommes de la Séléka.
 
Pour lui, il ne fait aucun doute que les auteurs de ces sévices et de cette vidéo sont des miliciens ayant appartenu au mouvement aujourd’hui officiellement dissous. Tout d'abord, les pick-up que l’on voit dans la vidéo sont recouverts de petites tâches de peinture. Reconnaissables entre mille, ils constituent une des marques de fabrique de la Séléka qui maquille ainsi les véhicules volés. Par ailleurs, sur les images apparaît à plusieurs reprises le visage en gros plan d’un des chefs de la Séléka à Bozoum, un dénommé Goni.
 
La coalition rebelle Séléka ("l’alliance", en langue sango) a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État le 24 mars dernier. Depuis, des combats entre les forces du nouveau régime et les partisans de l’ex-président Bozizé secouent le pays et ont déjà coûté la vie à plusieurs centaines de personnes. Le 13 septembre, devant l’ampleur de cette situation , le président de transition centrafricain, Michel Djotodia, a annoncé la dissolution immédiate de la coalition Séléka, sans toutefois apporter de précision sur la manière dont cette mesure sera mise en œuvre. Aujourd’hui, les désormais ex-éléments de la Séléka se sont taillés des fiefs en province et à Bangui. Selon les autorités, ce sont des combattants "incontrôlés", accusés de multiples exactions, de violences et de pillages à répétition contre la population.
 
Joint au téléphone par FRANCE 24, le chef d’état-major des FACA (Forces armées centrafricaines) a indiqué que "les milices anarchiques qui commettent des exactions contre la population sont actuellement recherchées pour être arrêtées et jugées. Nous travaillons de concert avec la Fomac [Force multinationale des Etats d’Afrique centrale] pour tenter de pacifier le pays". Également contactés par FRANCE 24, les autorités du camp de l’ancienne Séléka à Bozoum, dont fait partie le dénommé Goni sont restées, elles, injoignables.
 
 
CONTRIBUTEURS
 

Pierre Centrafrique

"Pour obtenir ma liberté, j’ai dû vendre mon moulin à manioc ainsi qu’un terrain"

Pierre (son nom a été modifié) n’apparaît pas sur les images mais faisait partie du groupe d’hommes ligotés et torturés.

C’était le 11 septembre, sur les coups de 23 heures. Des hommes en armes, en fait d’anciens éléments de la Séléka, sont venus chez moi car, selon eux, je dissimulais un fusil artisanal [un petit fusil de chasse très répandu au Centrafrique]. Ils ont fouillé partout, n’ont rien trouvé. Mais ils m’ont quand même arrêté pour "me poser quelques questions", m’ont-ils dit.

 

Ils m’ont conduit dans l’ancienne auberge, qui leur sert désormais de quartier général et de centre d’interrogatoire. Avant que Bozoum ne tombe aux mains de la Séléka, cet endroit abritait une dizaine de chambres. Puis il a été dévalisé et les chambres ont été transformées en cellules de prison. Dès mon arrivée, ils m’ont ligoté les bras et les jambes puis ils m’ont enfermé dans une cellule en compagnie d’autres hommes. Nous sommes restés ainsi attachés jusqu’au lendemain, il était alors environ 14 heures [d’après notre Observateur, la vidéo a été tournée à ce moment-là, le 12 septembre].

 

"Le plus pathétique dans cette histoire, c’est qu’en face de cette ancienne auberge se trouve une gendarmerie"

 

Ils m’ont détaché mais ne m’ont pas pour autant remis en liberté. Pour l'obtenir, j’ai dû m’acquitter de 150 000 CFA [environ 230 euros]. Et pour pouvoir payer cette somme, j’ai dû vendre mon moulin à manioc ainsi qu’un terrain. D’autres, qui contrairement à moi n’avaient pas la "chance" d’avoir un bien, ont fait appel à leur famille. Dans le groupe, deux frères ont refusé de céder aux caprices de nos ravisseurs, ce qui leur a valu plusieurs coups de ceinture sur le corps et même sur le visage. Ils ont fini par craquer et des personnes de leur entourage sont venues régler le montant exigé.

 

Tant qu’ils n’avaient pas perçu leur argent, les rebelles ne relâchaient personne. J’ai pu rentrer chez moi seulement le 23 septembre. Jusqu’à cette date, ils m’ont laissé croupir dans une cellule où j’ai dormi à même le sol. Et c’est ma famille qui s’est chargée de me nourrir et de soigner mes multiples contusions aux bras.

 

Le plus pathétique dans cette histoire, c’est qu’en face de cette ancienne auberge se trouve une gendarmerie. Mais les personnels n’ayant ni les armes, ni le contrôle sur la situation, c’est en spectateurs qu’ils assistent au triste spectacle offert par les milices.

 

La Séléka a été dissoute mais il reste des groupes rebelles qui n’obéissent qu’à leurs chefs directs et qui continuent de semer la terreur partout où ils passent. Bozoum est contrôlé par deux colonels autoproclamés, qui ont sous leurs ordres une vingtaine d’hommes. Ce n’est pas beaucoup, mais comme ils détiennent les armes, ils détiennent aussi le pouvoir.

 

Billet rédigé avec la collaboration de Grégoire Remund, journaliste à France 24.



27/09/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 80 autres membres