Centrafrique: Du déni des religions et de ses risques
En République centrafricaine comme ailleurs, la France néglige l'importance du fait religieux. A ses risques et périls... L'analyse de Pierre Vermeren, professeur d'histoire contemporaine à Paris I
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Un récent colloque d'histoire à la Sorbonne, sur le thème "Religion et diplomatie", a rappelé l'importance de cet angle mort des relations internationales. Depuis la guerre froide, la religion n'a pas été étudiée en tant que telle dans le champ de ces relations, sauf au titre de décor culturel. Résultat: les élites parisiennes, "sorties du religieux", ont tardivement compris la dynamique du clergé chiite iranien dans la révolution de 1979, puis, dans les années 1980, la dynamique catholique de la révolte polonaise anti-soviétique. De nos jours, le prosélytisme agressif de nos "amis" wahhabites -Qatar, Arabie Saoudite- est perçu comme un aimable folklore. L'armée française en combat pourtant les effets au Mali, et demain en Libye.
Occulter un moteur aussi essentiel des sociétés humaines est risqué. Car à regarder le monde au prisme d'un "rationalisme" qui peine à dépasser la France et la Belgique (1% de la population mondiale), l'action internationale française agit à tâtons. Les hommes d'Etat de la IIIe République, quant à eux, avaient estimé que la "laïcité n'est pas un article d'exportation" (Paul Bert, 1885), et qu'"aux colonies, la religion est partout" (Georges Hardy, Directeur de l'école coloniale, 1940).
Mais après le paganisme hitlérien, le triomphe du marxisme intellectuel, après 1945, a persuadé nos élites de l'obsolescence du religieux. Ainsi la France a-t-elle ignoré la dimension religieuse de la guerre d'Algérie qui, pour le moudjahid (combattant du djihad) de base, haché par la mitraille d'une force très supérieure, relevait d'un combat pour la terre de Dieu, quand nos intellectuels y voyaient une simple lutte anti-impérialiste, et nos militaires, une subversion communiste.
Si de grands mouvements de contestation ont, en France, un fondement religieux, que dire des conflits internationaux! Héritage marxiste, la religion apparaît ici comme une aliénation, appelée à se dissoudre dans l'économie de marché, vision libérale. Mais cette grille ne tient ni en Afrique, ni au Moyen-Orient. L'Afrique est réputée pour sa double croissance, démographique et économique. Mais il est des dynamiques méconnues qui sont tout aussi prégnantes: celle des monothéismes et de leurs diverses confessions est extrêmement vive.
L'islam minoritaire de la République centrafricaine (RCA), épaulé depuis Khartoum et renforcé de migrants tchadiens, a été mal apprécié. Financé par les pétrodollars de Kadhafi (Bokassa se convertit à l'islam en 1976), du Soudan, du Koweït et de l'Arabie Saoudite, il fut aussi poussé par leur prosélytisme. En 2013, la Seleka, coalition de groupes musulmans du nord-est, arrache le pouvoir dans un pays miné par la misère et des conflits ethniques. Cet étrange mouvement conduit le pays à la baguette, humiliant une population chrétienne à 80%. Sa fureur contenue éclate aujourd'hui au grand jour.
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