CENTRAFRIQUE NEWS EXPRESS

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En Centrafrique, les soldats perdus du palais de Berengo

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Avec leurs lance-roquettes et leurs fusils en bois, les soldats perdus de Berengo ne menacent personne et n'intéressent plus grand monde. Abandonnés dans le palais en ruine de feu l'empereur Bokassa Ier, ils survivent, à une soixantaine de kilomètres de Bangui, la capitale centrafricaine, en chassant des rats dans l'épaisse forêt qui les entoure et en cultivant des lopins de terre appartenant aux villageois.

Les quelques dizaines de jeunes hommes encore présents déambulent au milieu des carcasses de machines agricoles, autour de la piscine transformée en mare saumâtre et logent dans des bâtiments décatis dont les murs sont laissés à l'inspiration des occupants. Asher Love a laissé son numéro de téléphone, un autre message est plus énigmatique : « Triste est le survivant de la caravane. Souvenez-vous de l'histoire de Koyapato. »

En fermant les yeux, le visiteur imaginerait presque les soirées fastueuses de l'ubuesque empereur. En les rouvrant, il mesure l'ampleur de l'effondrement de la République centrafricaine (RCA). « Nous sommes en décadence. Trois mois que nous n'avons pas reçu nos rations. Nos chefs sont partis. Les soldats français de “Sangaris” sont venus puis repartis. On ne sait rien de ce qui se passe à Bangui. On attend les ordres », se lamente Thibault devant l'imposante statue en bronze de Jean-Bedel Bokassa.

 

« MAINTENANT ON EST PRÊTS À TRAVAILLER AVEC LA MAMAN »

Certains de ces aspirants soldats sont venus à Berengo, il y a dix mois, suivre une instruction leur permettant de rêver à un avenir moins sombre : une solde, quand elle tombe, est un privilège dont est exclue l'immense majorité des Centrafricains. La Séléka venait de prendre le pouvoir et entendait donner l'impression qu'une nouvelle armée était en construction.

Tout a volé en éclats le 5 décembre 2013 avec l'attaque sur Bangui de différentes milices paysannes anti-Balaka alliées à des militaires entrés en rébellion contre le régime du président Michel Djotodia (pro-Séléka), depuis déchu. Les officiers instructeurs de Berengo ont alors été rappelés à la capitale et leurs camarades de promotion musulmans ont été rejoindre les troupes combattantes de la Séléka. Les autres, qui espéraient un jour « servir le pays sans parti pris », comme le dit Guy Aubin, sont restés là, coincés entre les deux groupes armés.

La distance qui relie Berengo à l'entrée de la capitale est contrôlée par d'anciens soldats des FACA, les Forces armées centrafricaines dissoutes par la Séléka, répondant aux ordres du caporal-chef Alfred Rombhot. Ce petit barbu à la tête d'une troupe de soldats relativement bien équipés et qui a déjà assimilé les rudiments de la taxe à la barrière, expliquait, dimanche 26 janvier, que ses buts de guerre étaient quasiment atteints.

« Nous voulions que Djotodia et ses mercenaires partent. Maintenant on est prêts à travailler avec la Maman [Catherine Samba-Panza, la nouvelle présidente deCentrafrique], que j'ai rencontrée il y a deux jours. On attend notre cantonnement. Ça fait neuf mois qu'on est en brousse, on ne peut pas sortir comme ça, il fautgagner les papiers », déclare ce militaire du rang revêtu d'un tee-shirt où il est imprimé « Besoin de révolution, le savoir est une arme ». Le pistolet automatique dont il ne se sépare que pour parler aux journalistes en est une autre, largement plus répandue en RCA par les temps qui courent.

 

« ON A LES ALLUMETTES ET L'ESSENCE, ON PEUT TOUT FAIRE EXPLOSER »

Le patron de la ville s'appelle le colonel Al-Nour, et son adjoint a pris le surnom de« capitaine japonais ». A la barrière qui marque l'entrée de la capitale de la Lobaye, un gendarme glisse discrètement : « Ça ne va pas du tout. Il faut qu'on les libère d'ici. Ils font trop de problèmes. » « Ils », ce sont les combattants de la Séléka et les commerçants musulmans, le plus souvent d'origine tchadienne. « On est mal à l'aise ici à cause de leur comportement. Ils règlent tous leurs problèmes avec une arme. Beaucoup d'entre nous sont cachés dans la forêt », murmure Fernand, de peur des oreilles indiscrètes.

La peur est partagée entre les communautés. Assis sous la devanture d'une boutique qui lui sert désormais de chambre à coucher, Amad Assabala, l'imam du village de Bokoko, à 10 km de là, raconte, après avoir montré son cahier d'écolier où sont consignés les noms des 77 familles qui l'ont suivi dans sa fuite, que « tous les musulmans de la Lobaye sont ici. Toutes leurs maisons, toutes leurs mosquées sont brûlées. Nous sommes nés ici mais maintenant nous attendons des véhicules pour aller au Tchad ».

Le problème est qu'il est désormais impossible pour un musulman d'emprunter la route menant à Bangui, première étape de l'exode. Les demeures abandonnées transformées en amoncellements de briques, les inscriptions sur les murs ne laissent planer aucun doute sur le sort qui serait réservé à ces familles.

Pour que cette épuration ethnico-confessionnelle qui ne dit pas son nom puisseêtre réalisée, les deux ennemis, le colonel Al-Nour et le caporal-chef Rombhot communiquent. Le chef des militaires insurgés se propose d'escorter les musulmans pour qu'ils ne soient pas lynchés par la population « autochtone ». Mais la confiance est encore minimale. « Qu'ils arrêtent leurs tueries et après on se réconciliera », dit le « capitaine japonais » de la Séléka, puis, plus menaçant : « On a les allumettes, on a l'essence, on peut tout faire exploser. Ce n'est pas notre état d'esprit. Pour l'instant. »

 

 


27/01/2014
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