République centrafricaine: où sont-ils donc tous passés?
Andrew Harding
Correspondant BBC Afrique
Ici, les routes poussiéreuses sont sinistres et vides. Et les villages aussi.
A chaque kilomètre ou presque, l’épaisse broussaille disparait au loin pour révéler quelques maisons en terre, garnies de toits de paille.
Parfois, un chien ou une chèvre posté dans l'embrasure d'une porte vous fixe du regard. La plupart des maisons ont été brûlées.
Mais où sont les habitants?
Après une heure de route sur un chemin défoncé, au nord de la ville en ruines de Bossangoa, nous avons passé des douzaines de hameaux abandonnés et faisons finalement halte au village tentaculaire de Lere.
Une fois sur place, nous crions en direction de la brousse, et quinze minutes plus tard, trois hommes, les trais tendus, émergent des longues herbes.
“Nous avions peur. Nous pensions que vous pouviez être de la Séléka », nous explique Guy Sawa, un fermier émacié transportant une machette cabossée.
“Quand nous avons entendu les voitures, nous nous sommes enfuis- lorsqu’ils arrivent en ville ils ne font que tirer”.
Avec son frère, il est parti si précipitamment qu’il s’est coupé les genoux en tombant.
Séléka est l’ancien groupe rebelle qui a récemment évincé le président centrafricain et s’est ensuite désagrégée, se recyclant dans le banditisme, les règlements de compte et faisant preuve d’une brutalité terrifiante.
Après le coup d'Etat, les violences inter-communautaires ont débuté, de plus en plus marquées par les appartenances religieuses, avec des groupes de défense chrétiens- les « anti-Balakas » s’en prenant aux communautés musulmanes vues comme les alliées de la Séléka.
“Nous ne voulons pas la guerre. Nous sommes ici pour réassurer la population », m’avait affirmé un commandant de la Séléka, Sylvain Bordas, un jour plus tôt, à un barrage routier près de la capitale Bangui.
Mais les villages vides du nord disent une toute autre histoire.
Lere est une commune fantôme depuis plusieurs mois.
“Je vais t’emmener à l’endroit où nous nous cachons”, me dit Guy Sawa, se dirigeant vers les sous-bois d'un pas rapide.
Une demi-heure plus tard, nous arrivons dans une clairière où plus d’une douzaine de civils se cachent dans un abri de fortune.
Environ 400 000 Centrafricains vivent ce genre de situation désespérée.
“Nous vivons comme des animaux ici. Pas d’eau potable. Pas de médicaments. Pas de sel. Pas de savon”, me dit Mareus Faiton-Haena, un enseignant de 32 ans.
Pour lui, la communauté se sent prise en étaux entre la Séléka d’un côté, et des gardiens de bétails musulmans armés de l’autre.
Flavie Degbem, 22 ans, m’affirme qu’elle vient d’enterrer sa fille âgée d’une semaine, morte d’une maladie inconnue.
Plus au sud, deux heures plus tard, nous repérons des ombres derrière une rangée d’arbres.
Après avoir éteint le contact de notre voiture, les ombres sortent prudemment de leur cachette.
Ghislan Marto et les cinq autres hommes font partie de la milice anti-Balaka. Ils transportent avec eux des fusils et des amulettes de fabrication artisanale, qui, selon eux, les protègent contre les armes plus sophistiquées de la Séléka.
“Nous sommes ici pour défendre notre village”, me dit Ghislan, trente ans. Mais ses hommes m’affirment aussi qu’ils n'ont échangé aucun tire avec la Séléka depuis bientôt deux mois.
Plus tôt, à Bangui, j’ai pu rencontrer la représentante de l’Union africaine, la djiboutienne Hawa Ahmed Yusuf, un petit bout de femme avec un tempérament de feu.
Comme tout le monde dans la capitale, elle attendait avec impatience la nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et l’annonce du président français François Hollande d’un renforcement des forces françaises présentes en Centrafrique.
Hawa Ahmed Yusuf se disait confiante qu'il est possible de « briser le cycle » des coups d’Etat, des rébellions et du règne des autocrates en RCA, reconnaissant que l’Union africaine continue d’être dépendante de fonds extérieurs.
“Notre continent est confronté à de nombreux défies. Nos chefs d’Etat essayent d’être prêts mais nous faisons toujours face aux questions logistiques et financières.
“En temps qu’Africains, nous pouvons faire la différence. Mais parfois, en temps que femme africaine, je suis embarrassée quand je vois ce pays et toutes les victimes- les femmes qui souffrent, les jeunes filles violée sans que justice ne soit rendue. Mais j’espère que toutes ces choses vont bientôt s’arrêter, avec le soutien de la communauté internationale ».
La quasi-totalité des personnes que j’ai rencontrées jusqu’à présent ont exprimé l’espoir que les troupes françaises, et une force africaine élargie, puisse mettre un terme à l’instabilité actuelle.
Comme au Mali au début de la guerre, il faut s'attendre à une progression rapide, une certaine stabilité, puis une recherche bien plus compliquée et désordonnée de solutions pour le long terme.
A l’approche de la soirée, nous nous arrêtons dans la ville de Bossangoa, célèbre pour ses marchés, où quelque 40 000 civils ont trouvé refuge- les musulmans dans une mosquée, les Chrétiens dans une église catholique.
“Dans la rue, les liens entre musulmans et chrétiens sont rompus. Peut-être pour toujours », me confie le père Dieudonné. « Mais si la Séléka quitte la ville, peut-être que ces relations pourront reprendre."
Des négociations ont eu lieu afin de déplacer les combattants de la Séléka vers deux villages à l’extérieur de Bossangoa, dans l’espoir que les institutions du pays, ébranlées, puissent jouer à nouveau leur rôle, soutenues par des troupes issues de la force régionale de maintien de la paix Fomac, qui patrouillent déjà dans la ville.
Si ces négociations aboutissent, il s'agirait d'une avancée significative.
De la fumée sort des centaine de feux de cuisine. Suspendue dans l’air du crépuscule, près de l’église. Estani Gbeya vagabonde parmi la foule, un t-shirt de l’équipe Arsenal sur le corps- une équipe dont il n’a jamais entendu parler.
Il a huit ans mais a l’air bien plus jeune. Il est orphelin. Sa mère est morte l’année passée. Le mois dernier, un combattant de la Séléka a tué son père dans leur village Betoko.
Juché sur des marches en béton, Estani utilise sa manche sale pour faire partir les larmes dans ses yeux.
« Tous les musulmans cherchaient à nous tuer avec n’importe quelle arme qui leur tombait sous la main », me dit-il.
“Ils ont tué mon père et ont emporté son corps. Nous étions si tristes, et nous nous sommes enfuis. Aujourd'hui, c’est ma tante qui prend soin de moi. Je ne sais pas si je dois rester ici ou retourner dans mon village. Si j’y retourne... et si la Séléka nous tuait, que deviendrai-je alors » ?
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