L'appel de l'archevêque et de l'imam de Bangui à la communauté internationale
Depuis le début du conflit centrafricain, ils sont la voix de la paix, tentent deramener leurs concitoyens à la raison, d'éviter le pire. L'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, et l'imam Oumar Kobine Layama, président de la Communauté islamique centrafricaine, ont entamé une tournée à travers l'Europe.
L'imam Oumar Kobine Layama (à droite) et Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, ont été reçus à l'Elysée par François Hollande jeudi 23 janvier. | Christophe Ena/AP
Par Charlotte Bozonnet
Après Amsterdam et Bruxelles, avant Londres, les deux responsables religieux se sont rendus à Paris où ils ont été reçus, jeudi 23 janvier, par le président François Hollande. Leur message aux dirigeants européens : renforcer leur aide financière et militaire à la République centrafricaine au moment où l'élection à la présidence de Catherine Samba-Panza offre au pays une chance inédite d'enrayer le conflit.
Alors que la présidente de la transition a pris officiellement ses fonctions cette semaine à Bangui, chacun d'eux se félicite du choix de cette femme, qui donne aux Centrafricains un peu d'espoir, après une année de descente aux enfers. « Nous connaissons son engagement, son dynamisme, son impartialité, souligne l'imam Layama. Elle peut rétablir la paix, si elle a une équipe dynamique autour d'elle et si elle bénéficie d'un soutien de la communauté internationale. »
« DÉFIS GIGANTESQUES »
Les deux hommes rappellent les « défis gigantesques » qui attendent la nouvelle chef d'Etat de la transition. « Malgré les mutineries et les coups d'Etat qui ont marqué notre histoire, nous n'avons jamais connu une crise humanitaire comme celle-là », rappelle l'imam. Sur 4,5 millions d'habitants, plus d'1 million sont déplacés dont une grande partie est réfugiée dans la brousse, réduite à des conditions de vie dramatiques. L'économie du pays est exsangue. « L'élevage, l'agriculture sont à l'arrêt. Il faut que les gens puissent retourner aux champs, mais rien ne sera possible si la sécurité n'est pas rétablie », avance Mgr Nzapalainga.
Les deux religieux se disent particulièrement préoccupés par la situation sécuritaire à l'intérieur du pays où, expliquent-ils, les ex-rebelles de la Séléka, la coalition qui a chassé du pouvoir le président Bozizé en mars 2013, exercent toujours leur contrôle. « Avant de fuir, ils risquent de semer le chaos, de menerune politique de la terre brûlée », préviennent-ils. Une fuite qui a déjà commencé. « Les ex-Séléka se replient vers le nord, vers Birao [à la frontière avec le Tchad et avec le Soudan]. Pour quelles raisons partent-ils ? Lancer une nouvelle rébellion ?,interroge l'imam. Nous voulons dire à la communauté internationale d'êtrevigilante. »
Face aux violences persistantes, des ex-rebelles et des milices anti-Balaka qui les combattent, tous deux plaident pour le déploiement de casques bleus. « On a besoin de soldats expérimentés avec des moyens conséquents », souligne l'archevêque de Bangui, expliquant que certains soldats africains sont contraints, par manque de moyens, de se déplacer à pied dans la capitale centrafricaine. Une demande qui rejoint celle de la France : Paris pousse depuis des semaines pour que les forces africaines de la Misca soient rapidement transformées en opération de maintien de la paix de l'ONU.
« C'EST UN PAYS QUI N'EXISTE PLUS »
A moyen terme, il faudra aussi s'attaquer au chantier majeur de la reconstruction de l'administration, qui était déjà défaillante avant ce conflit. « Les papiers, les actes de naissance, tout a été détruit. Les gens ne sont pas payés depuis cinq mois. C'est un pays qui n'existe plus. Si on veut organiser des élections, il faudraredéployer l'administration », prévient Mgr Nzapalainga.
Mais les deux chefs religieux savent que le principal défi sera celui de la réconciliation. Pour cela, ils veulent créer des « lieux passerelles » : une école rassemblant des enfants protestants, catholiques et musulmans ; une structure de santé dont le personnel serait issu des différentes confessions. Former aussi des médiateurs locaux – imam, prêtres, pasteurs –, qui puissent, comme eux,aller dans les villages encourager les communautés à se parler. Multiplier les stations radio pour faire parvenir les messages d'apaisement « jusqu'au paysan le plus éloigné », souligne l'imam Layama.
Au-delà du dialogue, l'archevêque de Bangui plaide pour un travail de justice contre ceux qui ont violé, tué, estimant que l'impunité passée a contribué au conflit. « Nous sommes en mesure de rassembler les gens, mais vient un moment où le juge doit prendre le relais », souligne-t-il. Tous deux refusent toujours de qualifier le conflit de « religieux » : les communautés ont été instrumentalisées à des fins politiques dans un cycle de représailles, estiment-ils. « Tous les Centrafricains n'ont pas épousé cet esprit de haine. Il y a des quartiers où les communautés ont continué à vivre ensemble », rappelle Oumar Kobine Layama.
Les deux hommes appellent à agir vite. « Aujourd'hui, les gens sont dans l'expectative, prévient Mgr Nzapalainga. Les combattants n'ont pas été désarmés, le pays n'a pas encore de gouvernement, beaucoup de gens ont perdu leur maison. Il faut rapidement poser des gestes pour apaiser la colère, redonner un peu d'espoir, rétablir la confiance. » L'intervention française, rappellent les deux sages, a permis d'éviter le pire. Mais il est toujours possible.
LeMonde.fr
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