République centrafricaine : impasse humanitaire dans l'enclave musulmane de Carnot
Sur le parvis de l'église de Carnot, à l'Ouest de la RCA, des musulmans s'agenouillent pour prier. Des soldats camerounais gardent le portail aux côtés d'un blindé. A l'intérieur de l'enceinte, un peu moins d'un millier de personnes, de différentes ethnies mais toutes de confession musulmane, s'entassent sur une surface équivalente à un demi-terrain de football.
Ces déplacés ont été amenés ici par les hommes de la MISCA, les forces d'interposition de l'Union Africaine, afin d'assurer leur protection. Le reste de la ville est sous le contrôle des anti-balakas. Ces milices d'autodéfense, essentiellement composées de chrétiens, se sont emparées de Carnot début février, peu de temps après la démission du président Michel Djotodia le 10 janvier. Djotodia avait été amené au pouvoir en mars 2013 suite à un coup d'Etat mené par la Séléka, une alliance de groupes rebelles surtout musulmans. Lors de leur repli, ces derniers ont entraîné dans leur sillage l'immense majorité de leurs coreligionnaires, exposés à de violentes représailles qu'ils soient travailleurs immigrés, éleveurs nomades ou citoyens centrafricains. Il y aurait eu plusieurs milliers de victimes même si le bilan exact reste difficile à établir.
Z. et S. ont 20 ans ; elles sont belles-soeurs. « Le 5 février, les anti-balakas ont attaqué Guen, notre village. Nous étions une centaine de personnes regroupées dans une grande maison. Ils ont séparé les hommes et les jeunes garçons, 45 personnes au total, dont nos maris, et les ont exécutés en face de nous » relate Z. qui ajoute en désignant ses oreilles : « Puis ils ont mutilé les corps ». S. poursuit : « les soldats camerounais nous ont ensuite amené à l'église de Carnot. Les conditions sont dures. Mon bébé est mort ici d'une infection. Il venait d'avoir un mois. »
Quiconque tente de s'éloigner de l'enclave encourt un grave danger. D. en a fait l'amère expérience il y a une dizaine de jours. Exploitant d'une mine de diamant, il a appris qu'une pierre de 9 carats avait été trouvée sur sa concession. « Je suis sorti afin d'aller réclamer ma part. Des anti-balakas m'ont attaqué à coups de machette à moins de 500 mètres de l'église. » Soigné par MSF, il attend désormais une solution pour partir rejoindre sa famille au Cameroun.
L'hôpital de Carnot, appuyé par MSF depuis 2010, est aujourd'hui le seul endroit de la ville où il est encore possible de faire cohabiter chrétiens et musulmans. La tuerie de Boguila, au cours de laquelle 18 personnes ont été tuées à l'intérieur de l'hôpital MSF, le 26 avril dernier, a cependant rappelé que les structures médicales n'étaient pas épargnées par la violence.
Dans l'enceinte de l'église de Carnot, la promiscuité est devenue un enjeu de Santé publique. La moitié des déplacés est constituée d'enfants âgés de moins de 15 ans. La saison des pluies a débuté et le paludisme, ainsi que les diarrhées, font des ravages. « Nous assurons les soins médicaux, distribuons de la nourriture et de l'eau potable et avons installé quelques latrines mais maintenir des conditions sanitaires minimales dans un tel confinement est un défi quotidien » explique Fabio Biolchini, responsable des activités MSF sur place. « La situation devient chaque jour plus intenable. Une autre solution doit être trouvée rapidement. »
Les déplacés sont installés sur des nattes à l'intérieur de l'église. Chaque dimanche, l'espace est libéré pour la messe. « Nous entendons chaque fois des insultes et des menaces » dit l'un des représentants de la communauté qui semble se résigner à partir bientôt vers le Cameroun, où se trouvent déjà plus de 100 000 réfugiés : « la haine est trop vive pour espérer une réconciliation à court terme. Nos enfants sont malades et nos femmes ont peur. Le Ramadan approche et personne ne souhaite le célébrer dans de telles conditions. La seule option est maintenant de partir puis d'attendre la paix. »
MSF
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