En Centrafrique, la haine communautaire partie pour durer
Par Anthony Fouchard
Musulmans et chrétiens se déchirent depuis des mois. Les dignitaires religieux ne cessent d'appeler au calme, mais la haine persiste.
À Bangui, plusieurs faubourgs de la capitale sont devenus des symboles de la division entre communautés. La longue route qui traverse PK12, un quartier mixte où musulmans et chrétiens cohabitaient, s'est transformée en un no man's land qui s'étire sur plusieurs centaines de mètres. Quelques courageux ont ouvert leurs échoppes au bord du chemin mais déguerpissent dès que des tirs retentissent. Un rouleau de papier toilette blanc étiré en travers de la voie symbolise la ligne de démarcation. "Ici, c'est les chrétiens. De l'autre, les musulmans", explique Yaniss, un jeune du quartier. Et il ne fait pas bon de s'aventurer de l'autre côté de la "frontière". Chaque jour, de nouvelles exactions viennent alourdir le tableau des morts liés au conflit communautaire.
Enrayer la spirale de la vengeance
Personne ne semble prêt à la réconciliation, même si chaque dignitaire religieux exhorte ses fidèles au calme. Dans la paroisse Saint-Sauveur, où plus de 20 000 déplacés ont trouvé refuge, le père Marc Belikassa estime qu'il faut "pardonner et enrayer cette spirale de la violence". C'est une parole qu'il prêche à chaque messe. Et pourtant, il y a quelques jours encore, deux musulmans ont eu le malheur de s'aventurer dans le quartier Castor, à dominante chrétienne. Ils ont été lynchés puis brûlés par la foule. "Ce n'est pas humain, des actes comme ça", dénonce un officier de la Misca venu sécuriser les lieux.
Au loin, une centaine de jeunes attendent que la Croix-Rouge vienne récupérer les corps calcinés. "On les a tués, car ils avaient des grenades sur eux. Ils étaient dangereux", revendiquent-ils. Des grenades, les militaires n'en trouveront aucune trace. Comme souvent, la sécurité sert de prétexte aux exactions. L'origine de cette haine vengeresse est à trouver dans les nombreux massacres commis par les ex-rebelles de la Seleka, qui ont porté au pouvoir Michel Djotodia. Majoritairement musulmans, ces soldats ont pillé, tué et violé en toute impunité pendant de longs mois jusqu'à la destitution du président Bozizé. Les milices paysannes anti-balaka sont nées pour protéger les habitants des exactions des Seleka.
Propagande anti-musulmane
Dans le quartier de Miskin, plusieurs commerçants vident leurs magasins. À quelques mètres de là, les soldats français veillent. "Ils sont là pour faire joli, ils n'interviennent pas. Les gens viennent piller les commerces sous leurs yeux", déplore Ahmed. Lui fait dans la récupération de produits Air France. "Serviettes, pin's, posters, tu trouves de tout chez moi", rigole-t-il avant de disparaître dans une ruelle. Vincent N'boma est le chef du quartier. "Je suis chrétien, ça vous surprend ? Les gens me respectent ici et je n'ai aucun problème à vivre en harmonie avec eux. Ce qui pose souci, ce sont ces milices sans scrupules, ces jeunes instrumentés qui se servent de la crise dans leur intérêt personnel", souligne-t-il.
Oumar Kobine Layama, le grand imam de Bangui, avance même que le président déchu Bozizé serait responsable de ce sentiment de haine. "C'est quand Bozizé s'est retrouvé confronté aux Seleka qu'il a posé les jalons de cet amalgame en organisant des campagnes anti-musulmanes dans le seul but de se maintenir à la tête du pouvoir", accuse-t-il dans une récente interview. Une coalition des patriotes contre la rébellion armée (Cocora) a en effet vu le jour en 2012, pour lutter contre l'avancée des rebelles.
Le pardon prendra du temps
"C'est de là que tout est parti. Le conflit communautaire n'est en fait qu'un prétexte à la lutte des pouvoirs", renchérit Dandepov, qui fait lui aussi ses bagages. Pour ce jeune trentenaire, tout est fait pour entretenir la confusion. Aujourd'hui, les chrétiens sont assimilés aux anti-balaka, des milices paysannes. Les musulmans, eux, sont tous comparés à des Seleka. Or les chefs de guerre rebelles ont quitté Bangui pour le nord du pays, où ils règnent désormais en maître. Dans la capitale, les victimes sont le plus souvent des civils innocents.
"Personne ne veut vraiment faire la part des choses", dénonce un imam de la mosquée Ali Babolo dans le 5e arrondissement de Bangui. "C'est une chasse aux sorcières. Il est de plus en plus difficile pour nous de maintenir le calme dans les rangs de nos fidèles", déplore-t-il. Dans un quartier voisin, des chrétiens réclament avec véhémence "la paix, juste la paix". À une nuance près. "On ne veut plus des Arabes, on ne veut plus des Tchadiens. On ne pourra jamais revivre ensemble", assène Prudence, rencontrée dans le centre-ville. Musulmans ou catholiques, tous s'accordent au moins sur un point : le pardon va prendre du temps en République centrafricaine.
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