République Centrafricaine : Lettre ouverte au Président de la transition : de la lassitude à l’insurrection
Par Nestor Nongo, Evêque de Bossangoa
Monseigneur Nestor Nongo, Evêque de Bossangoa en République Centrafricaine, face aux exactions qui ont lieu à Bangui et dans les villages écrit au président de transition de la RCA.
Monsieur le Président,
Il n’a pas fallu longtemps à la population banguissoise de se désenchanter. Les clameurs de joie et les applaudissements d’une partie de la population à l’entrée des rebelles de SELEKA à l’assaut du pouvoir à Bangui le 24 mars 2013 ont aussitôt fait place à des scènes délirants de pillages, de viols, de spoliation, d’expropriation, de profanation de lieux de culte des chrétiens. Depuis lors le pays a été plongé dans un état de chaos. Les Evêques de Centrafrique, réunis en session ordinaire du 13 au 23 juin 2013 au siège de la Conférence à Bimbo, ont fait une autopsie sans complaisance de la déchéance du pays:
« Du jamais vu ! » Voilà les mots qui disent le sentiment général du peuple face au déferlement des éléments de la SELEKA. Jamais l’on n’a connu sur notre terre un conflit aussi grave dans son ampleur et dans sa durée. Jamais aucun trouble militaro-politique ne s’était disséminé avec autant de violences et d’impacts sur l’ensemble de notre territoire. Jamais une rébellion ne nous a drainé une aussi forte présence de combattants étrangers. Jamais une crise ne nous a fait courir un aussi grave risque de conflit religieux et d’implosion du tissu social. Un spectacle « du jamais vu » sur tous les plans.
Ces exactions ont été unanimement décriées par la population. Elles furent dénoncées par des organismes humanitaires établis en Centrafrique et des organes spécialisés des Nations Unies. Toutefois les nouvelles autorités issues de la rébellion ont une autre clé de lecture de ces événements socio-politiques. Elles font endosser toutes les responsabilités de ce désordre endémique aux milices pro-Bozizé. La ligne de défense semble toute trouvée.
Néanmoins force est de constater que tout le pays est entre les mains des nouvelles autorités et des mercenaires tchado-soudanais qui font la loi et assurent l’effectivité de l’administration à l’intérieur du pays. Même si elles se sont comportées en rebelles sur des terrains conquis, la logique de l’état de droit devrait prévaloir à partir de votre prestation de serment le 18 août 2013. Toutefois les événements de Boy-Rabe, de Boeing et d’autres quartiers de la ville de Bangui peuvent légitimement faire douter des intentions réelles des nouvelles autorités et surtout de leur capacité à gérer une situation qui s’enlise de plus en plus. L’opération de Boy-Rabe et des environs correspondait-elle vraiment à une volonté de désarmement comme on voulait le faire croire ? Aucune arme n’a été exhibée ! Par contre des pertes en vies humaines ont été déplorées, des maisons ont été éventrées et des pillages ont été enregistrés. De quel désarmement s’agit-il lorsque le complexe scolaire tenu par les religieuses à la paroisse Saint Bernard de Boy-Rabe a été complètement dépouillé de ses matériels scolaires ? A moins qu’on me dise que les ordinateurs emportés par ces malfrats constituaient une forme d’armes modernes!!!
Ces exactions ont poussé les populations de la lassitude à l’insurrection. Telle est l’une des lectures que l’on peut faire de l’occupation de l’aéroport international de Bangui M’Poko du 28 au 29 août 2013 par des foules excédées et désabusées qui y ont cherché la protection. Cette action a renforcé l’enclavement du pays. Mais elle a néanmoins déclenché une dynamique en vue de la sécurisation de la ville de Bangui. Les mesures annoncées suffiront-elles à apaiser les populations et à rétablir la paix ?
Alors que je me réjouis de cette heureuse issue, j’attire votre attention sur le sort de beaucoup de nos compatriotes de l’intérieur du pays qui sont livrés à la merci de leurs bourreaux des éléments de SELELA et dont le sort n’est malheureusement pas aussi médiatisé. Toutes résistances de leur part sont durement matées dans le sang. Citons les cas pitoyables des villages sur l’axe Ouham Bac, Bowin dans les environs de Nana-Bakassa dans la préfecture de l’Ouham et récemment Bohong dans la préfecture de Nana-Mambéré. Ce dernier village était encore bouclé avec le mot d’ordre de nettoyer toutes les poches de résistances.
Peut-être que vous l’ignorez. Mais je tiens à porter à votre connaissance les cas d’injustice et de traitements inhumains infligés à la population de mon diocèse de Bossangoa. Depuis Sido jusqu’à Paoua en passant par Kabo, Batangafo, Bouca, Bossangoa, Nana-Bakassa, Kuki et Markounda, la population centrafricaine, dite kongo, a été dépossédée de tous ses bœufs et petit élevage de caprins au profit des peulhs qui constituent le gros des effectifs des SELEKA de la région. Ils n’hésitent pas à faire venir des renforts en hommes armés de Bangui pour en découdre avec les paysans si ces derniers veulent faire prévaloir leur droit. Les populations de ces localités sont menacées de famine. Les récoltes de cette année sont d’ores et déjà compromises d’autant plus que les peulhs, avec la bénédiction des SELEKA, font brouter leurs troupeaux de bœufs dans les champs des paysans. Dans cette perspective, l’insécurité alimentaire n’est ni une vue d’esprit, encore moins une conjecture des gens de mauvaise foi.
Au lieu d’assurer la sécurité de ces populations dépossédées de tous leurs biens et soumises à un traitement inhumain et dégradant, est-il judicieux de distribuer des enveloppes à tour de bras comme vous le faites ? Les circonstances d’un tel geste ne me semblent pas opportunes. En ce qui concerne l’Eglise catholique, les vingt-cinq millions de francs cfa (25.000.000 Fcfa) ne représentent rien par rapport aux préjudices qu’elle a subis. Comme les Evêques l’avaient annoncé dans le message qu’ils vous ont adressé en date du 23 avril 2013, un mémorandum vous sera bientôt transmis à cet effet. La question des réparations sera certainement prise en compte par la Commission Mixte d’Enquête.
Monsieur le Président de la transition,
Tout en vous encourageant à assurer la sécurité du peuple centrafricain, à garantir l’intégrité du territoire national et à lutter contre l’impunité, je vous assure de mes prières.
Fait à Bangui, le 30 août 2013
S. E. Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA SMA Evêque de Bossangoa
nestorsma12(at)gmail.com
Date de publication : mercredi 04 septembre 2013
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